par Caroline Canault, critique d’art – février 2018

L’exposition Frères Humains* conçue comme un Memento mori, un parcours esthétique, appelle à la fraternité et à la spiritualité pour surmonter les craintes des Hommes.

Le titre de l’exposition est un emprunt au poème de François Villon La ballade des pendus rédigé sous forme de testament où les morts s’adressent avec ironie aux vivants afin de solliciter leur pitié, leur indulgence et leur pardon. Evelyne Huet est une artiste humaniste qui touche quelque chose d’universel. C’est avec une sincérité frémissante et amusée qu’elle rassemble ici une galerie de portraits sous forme de fragments de l’humanité.

Peints au doigt sur tablette numérique puis imprimés sous Diasec, les Frères Humains sont des représentations dématérialisées, absorbées par leurs formes et leurs conditions accidentées qui s’affichent telles des présences évanescentes. Leurs visages effacés expriment leur impossibilité de dire. Les lignes se plient à l’exigence de l’éclatement et à la dépersonnalisation de leur individualité. D’autres traits s’entremêlent et apportent une physicalité qui pourrait s’apparenter à des fêlures, des cicatrices qui scandent leur chair. La volonté esthétique semble être de ne pas arrêter les formes pour les garder au plus près de leur surgissement en multipliant ainsi leur pouvoir suggestif.
Entre l’opaque et la lumière, ces apparitions presque géométrisées ébranlent leurs représentations anatomiques, laissant les repères se troubler vers une perte progressive et chronologique du réel. Sous une certaine force libératrice, les dernières créations datées de 2017 s’étalent en prenant largement possession de l’espace, dépassant les frontières visibles de leurs silhouettes et ne laissant distinguer que quelques indices de leur faciès et leur corps dans une abstraction dominante. Elles figent un état transitoire. Le moment où le corps pourrait s’évaporer et pourrait exister dans une sorte d’effacement, une fragilité précieuse de demi-éveil. Petite mort, songe éphémère ou disparition inéluctable… La dissolution de la figure humaine est en ce sens le fil rouge de l’exposition.

Evelyne Huet prend désormais le soin d’évacuer ce qui pourrait alimenter toute dimension narrative. Elle nous entraîne dans un processus de libre interprétation qui fabrique le trouble. Seuls les titres guident vers une forme de compréhension avec une dualité qui engage les corps dans un jeu de vie et de disparition, de souffrance et d’affectif, d’enfer et de paradis. La traîtrise, Persécutions millénaires, L’anxiété sociale, Les fantômes ne meurent jamais sont autant d’œuvres qui participent au macabre de la description. D’autres telles que : Résister, Love et Caetera, Is this love ou encore Le bonheur apportent une lecture plus optimiste.

L’artiste incarne des figures humaines et en particulier des effigies féminines qui ont marqué les mythes et les religions : Les trois Grâces, Marie de Nazareth, Abla Pokou reine des Baoulé au 18e siècle, Kimpa Vita-Nsimba « la Jeanne D’arc du Congo». Les références à l’Afrique, à l’art primitif et sa passion pour l’anthropologie ne sont pas anecdotiques. La recherche de la représentation du masque, de l’œil béant sont des éléments totémiques récurrents. Ces empreintes du passé sont transposées et transformées sous une vision actuelle aux couleurs vives, éclatantes, parfois fluorescentes.
L’énergie primale surgit sous la puissance poétique de son doigt pour donner naissance à des œuvres dotées d’une force expressive où l’envoûtement devient le plus contemplatif des rituels. Avec un humanisme aussi noir que lumineux, Evelyne questionne ici la condition de nos corps et nos âmes, comme un symptôme de résistance.

Caroline Canault

*Exposition présentée à la Mairie du 13e arrondissement à Paris du 6 au 16 février 2018.