par Caroline CANAULT, critique d’art – 06/01/2014
Dans le bouillonnement actuel du digital painting et des possibilités de manipulation de l’image numérique, Evelyne Huet s’intéresse aux représentations du passé, des mythes, à l’histoire des peurs collectives. Ses œuvres convoquent des scènes où affleurent la hantise de la folie humaine, les charmes terrifiants de ce qui excède la raison.
Sa série La Damnation de Faust est faite de deux portraits. L’artiste exploite les virtualités de l’image fantasmée, exclusivement avec ses doigts. Un rapport direct et tactile qui s’inscrit dans une nouvelle approche du toucher, dématérialisé. Un procédé aux antipodes de toute maîtrise académique.
La capacité d’abstraction de l’image, de rêve nous plonge dans l’inconscient collectif de notre Histoire (la psychanalyse n’est pas loin.) Evelyne Huet nous laisse déambuler dans un récit qui fait intrusion dans nos repères les plus intimes.
« Il s’agit ici d’une légende construite autour du Diable, Méphistophélès, et de l’amour charnel et spirituel. Le Docteur Faust vend son âme à Méphistophélès quand celui-ci l’empêche de renoncer à la vie. Il se laisse ensuite emporter dans le maelström diabolique de la tentation amoureuse pour Marguerite. Mais Méphistophélès intervient dans leur amour avant qu’il ne soit consommé et contraint Faust à plonger en Enfer pour sauver Marguerite. Faust et Marguerite sont comme transformés en statues de sel après cette victoire de Méphistophélès qui les fige dans la mort. C’est cette histoire de tentation des sens et de punition terrible qui m’intéresse. »
Le portrait figé comme une figure mortuaire primitive, est travaillé vers une économie de l’essentiel, remettant en cause toute idée de vraisemblance. Il est géométrisé, fragmenté et démembré sous des lignes courbes, disproportionnées. L’échelle se renverse comme le sentiment, enrobant le visage dans un espace sensuel. La couleur est chatoyante, un rose vif. Elle est ambiguë, fragile et éphémère, c’est celle du rouge désaturé dont la valeur symbolique touche à l’identité, au rapport aux autres comme à sa propre existence, au romantisme, à la séduction, à l’amour sans le sexe.
Le contour visible des yeux et du nez apparaît comme une couture, accentuant la représentation phallique du sexe masculin. La suture semble émasculer avec douceur l’appareil génital. L’idée de castration, allégorie du Mal absolu, oscille entre l’expression du plaisir et celui de la sanction.
Nous ne sommes pas loin de la « paranoïa critique » pratiquée par Dali qui correspond au processus d’élaboration d’une image double ; le nez et les lèvres sont ici en même temps le sexe. Le phallus côtoie la tête de mort, l’éros se confronte au thanatos, le macabre au sensuel. A la fois beau et tragique, le portrait-créature mi-spectre, mi-homme est capturé dans sa présence évanescente et expose sa permanence. Le malfaisant devient terriblement attirant. Cette tension entre attraction et menace manifeste une singulière beauté mêlée d’horreur où les frontières entre conscient et inconscient, vie et mort, vérité et illusion ne se dessinent plus très nettement. Evelyne Huet est une disciple du romantisme noir contemporain. La Damnation de Faust est une oeuvre expressionniste qui s’emploie à débusquer une étrange et fascinante dualité, une véritable invitation à l’amour et à la mort.
Caroline Canault, 06-01-2014